Les 3 bombardements de 1944
jeudi 27 avril 1944 à 18h50
jeudi 25 mai 1944 à 08h20
jeudi 29 juin 1944 à 02h00
La grande offensive aérienne alliée contre l'Allemagne et les territoires occupés a commencé au cours de l'hiver 1943/1944. Lunéville et ses environs furent particulièrement concernés par le sauvetage des équipages alliés, rescapés des avions abattus par la défense allemande. Mais jusqu'aux premiers jours du printemps 1944, aucune bombe alliée n'était encore tombée sur le Lunévillois.
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Pourtant les motifs d'inquiétude ne manquaient pas. L'arrivée d'importants détachements de la division blindée d'élite "Pantzer Lehr" n'allait-elle pas attirer l'attention des bombardiers d'Outre-Manche? Comme pour justifier ces craintes, le jour même où débarque en gare de Lunéville l'élément principal de cette Panzer, une alerte survint! La municipalité, en liaison avec la Croix Rouge, le Secours National et la Défense Passive, avait pris des dispositions très sérieuses pour être en mesure de porter efficacement secours aux victimes d'un possible bombardement.
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Jour après jour, désormais, le rythme des alertes s'intensifiait. Selon les dirigeants de la Défense Passive, Lunéville serait la ville la plus menacée de tout le département en raison de la présence de ces unités blindées à croix noire. Et en dépit de fausses nouvelles concernant l'ouverture du second front, souvent annoncée et jamais exécutée, les gens raisonnables, sans être grands stratèges, ne pressentaient un inévitable dénouement. Mais les blindés s'en allèrent à la mi-mars et les quelques détachements qui les remplacèrent ne paraissaient pas constituer des objectifs dignes d'intérêt pour l'aviation anglo-américaine. Pourtant les pessimistes estimaient que la gare et les "wagons", où l'on fabriquait du matériel de guerre, pourraient bien être pris pour cibles et que la cité, étant donné sa configuration, serait alors durement touchée.
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![Screenshot_20200618_101124.jpg](https://static.wixstatic.com/media/329f06_79e8eb0ff2ac4e9996c2a184c7c4ae5b~mv2.jpg/v1/fill/w_364,h_509,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/Screenshot_20200618_101124.jpg)
La Défense Passive, dont l'encadrement s'était renforcé, s'activait et faisait aménager de grandes tranchées-abris en différents points de la ville. Le 20 avril 1944, la radio anglaise, la BBC, sembla lui donner raison: commentant l'avis n°27 du grand quartier général alliée, son porte parole annonçait:
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"..Les attaques aériennes vont s'intensifier. Eloignez-vous du voisinage des installations ferroviaires. Tous les points vitaux des chemins de fer de Belgique et de France vont être soumis à des attaques aériennes dans les prochaines semaines..."
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On pensait au triage de Blainville-Damelevières. Bien situé, au carrefour de la grande pénétrante Allemagne-Paris et de la rocade Luxembourg-Dijon, ce point stratégique revêtait une importance primordiale, non seulement pour l’exécution des transports militaires opérationnels et logistiques de la Wehrmacht, mais également pour les expéditions à destination de l'Allemagne de tout ce que l'administration occupante "récupérait" sur l'économie française et notamment, pour ce qui concernait la Lorraine, le minerai de fer de nos mines. De plus, l'ensemble du triage représentait une capacité de traitement de 2100 wagons/jour. Il disposait de 75 à 100 locomotives et ses ateliers étaient spécialisés dans l'entretien et la réparation des systèmes Westinghouse de freinage du matériel roulant.
Compte-tenu de ces caractéristiques du triage, de ses dimensions et de ses multiples installations, la Résistance et notamment le Groupe Lorraine 42, pourtant très opérationnel, n'avait pas les moyens de le neutraliser ou de lui causer des destructions le rendant inutilisable pour l'occupant. L'attaque aérienne était donc inéluctable
Madame Lucienne André qui, à l'époque, travaillait dans un des bureaux du triage, se souvient:
"La Résistance avait prévenu la population et l'avait vivement invitée à courir se réfugier dans la campagne dès que les sirènes donneraient l'alerte. Blainville est sur la liste des prochaines bombardements..."
Mais il y avait ceux qui ne pouvaient plus courir. Il y avait ceux qui se croyaient en sécurité dans leurs caves-abris. Il y avait aussi les optimistes qui avaient confiance en leur bonne étoile. Par contre, la quasi-totalité des enfants fut mise à l'abri dans les villages voisins. Sage mesure, car, pratiquement aucune victime ne sera à déplorer dans cette catégorie d'habitants.
Jeudi 27 avril. 18h50
C'est l'attaque. A Lunéville, on entend le grondement des avions. Puis ce sont les premières explosions. Les maisons tremblent. Le vacarme est tel que des villages proches, on pense que l'objectif est Lunéville. Des personnes sont montées sur la côte de Méhon. Plus de doute, c'est Blainville, on voit les lueurs des explosions et les fumées qui montent dans le ciel. L'attaque va durer près d'une heure. Par escadrilles de 6 à 8 appareils, 118 B24 Liberators appartenant aux 446e, 448e, 453e, 466e et 467e groupes de bombardements de la 8ème US Army Force, basés à Norfolk en Grande-Bretagne, vont larguer sur Blainville 1343 bombes à grande puissance de 500 livres et 12 bombes de 1000 livres. Le rapport d'opération indique que le temps était clair, la FLACK (DCA) très faible et la chasse allemande nulle. L'attaque fut effectuée d'une altitude comprise entre 16500 et 21000 pieds ( 5300 à 7000m) suivant l'axe Sud-ouest, Nord-est.
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Très vite, on sait à Lunéville que le triage a été bouleversé mais aussi, hélas, que la localité de Damelevières a été touchée et qu'il y a beaucoup de victimes, des morts. Aussitôt Lunéville porte secours à sa voisine meurtrie. Ses équipes d'urgence de la Croix Rouge, organisées par Madame Boissel, ses équipes de déblaiement, ses médecins, ses gardiens de la paix, tous sont à l’œuvre une heure à peine après la chute de la dernière bombe. Les blessés les plus graves sont évacués, quelques uns sur Nancy et Bayon, la plupart sur Lunéville. 23 d'entre eux reçus à l'hôpital et au dispensaire. Un jeune homme de Lunéville, René Richeton, apprenti à la SNCF, est parmi les tués. Il a été touché en traversant la rue pour se mettre à l'abri.
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Le lendemain matin, le nombre de victimes est beaucoup élevé qu'on l'avait estimé quelques heures plus tôt: il y a 19 morts et 28 blessés graves. Dans une maison de Damelevières, qui a reçu une bombe de plein fouet, la cave s'est effondrée sur les pauvres gens qui s'y étaient réfugiés. Sur les 13 personnes ensevelies, deux seulement seront retrouvées en vie. Les corps des victimes sont atrocement mutilés. Au dépôt des machines, des cheminots ont été tués. Plus loin, un homme a été mortellement blessé dans la forêt ainsi qu'une femme qui travaillait dans son champ. On aurait aussi retrouvé trois noyés dans la Meurthe, soit qu'ils aient tenté de traverser la rivière pour s'éloigner du danger, soit qu'ils aient été projetés à l'eau par le souffle des explosions.
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![B_24_in_raf_service_23_03_05.jpg](https://static.wixstatic.com/media/329f06_a02498bbce12413b8f3f1d502cd7445d~mv2.jpg/v1/fill/w_424,h_283,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/B_24_in_raf_service_23_03_05.jpg)
Par contre, à la ferme Ste Marie, qui a été pratiquement détruite par les bombes, un véritable miracle semble s'être produit. Seule, la cuisine de la ferme est intacte. Or, dans cette pièce une douzaine de personnes s'étaient mises à l'abri et simplement couchées à terre. Aucune d'entre elles ne fut blessée. Les vitres de la porte n'étaient même pas brisées. La Sainte protection, sous laquelle la ferme avait été placée, était-elle intervenue? Simple constatation à postériori: la ferme Ste Marie se trouvait à 2.5km de l'objectif!..
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Pour d'autres habitants, plus de trente ans après, le souvenir de ces moments difficiles restait toujours aussi vif. Telle cette femme qui habitait alors avec sa famille à Damelevières:
"Dès l'alerte, nous nous étions tous réfugiés dans la cave-abri de notre maison. Le bombardement avait commencé vers 18h50 19h00 et il dura plus de 40 minutes. Les bombes pleuvaient, et à chaque explosion, nous nous sentions projetés en l'air. Au-dessus de nous les lames du parquet se soulevaient puis remettaient en place. La cave était envahie par la poussière et aussi par la fumée. On se demandait si la maison n'était pas en train de brûler. Puis le raid pris fin. Mon frère voulut sortir mais il fut tué par l'explosion d'un engin à retardement qui était tombé juste derrière notre porte. J'étais blottie dans un angle de la cave avec ma mère et nous n'avons pas été touchées. Après, cela nous faisait comme si nous n'avions plus de peau sur tout le corps et notre angoisse était telle qu'il nous semblait avoir une sif que rien ne pouvait apaiser".
Les résultats du raid, observés pendant l'attaque et mentionnés dans le rapport de fin de mission indiquent trois concentrations d'explosions sur l'objectif et près de son extrémité sud-est. La première se trouve au voisinage de la rotonde et des hangars du dépôt des machines; un incendie a été aperçu dans ces hangars, s'étendant vers le nord en direction des voies de réception. Une seconde apparaît sur les ateliers de réparation des wagons et s'étend sur un quart des voies de triage. Une troisième s'étale, à l'ouest de la patte d'oie, sur un quartier commercial et résidentiel.
Le rapport de reconnaissance aérienne effectuée le 30 avril 1944, soit 3 jours après le raid, est désolant dans sa sécheresse. Je le transcris littéralement:
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1.Rotonde: endommagée
2. Atelier du dépôt des machines: travée Nord, dommages probables dans les autres.
3. Voies du triage: voies de réception, près de l'atelier du dépôt des machines, atteintes.
Approximativement, 50 cratères de bombes sont observés. Probables dommages et destructions aux wagons.
4.Concentration de cratères de bombes:
- dans un champ, au Nord de l'atelier du dépôt des machines
- dans un champ, à l'Est du triage, près de la route d'Epinal.
5. STOP et FIN
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Les piètres résultats de l'opération du 27 avril 1944 rendaient inévitables l'exécution d'un nouveau raid, surtout lorsqu'on sait que le trafic était rétabli sur une seule voie dès le lendemain, moins de 24h après l'attaque, et que trois locomotives seulement avaient été détruites. Pourtant des photos prises "discrètement" quelques jours plus tard par Madame Lucienne André, montrent quelques dégâts spectaculaires: locomotrice renversée, wagons les uns sur les autres, bâtiments soufflés, et ce petit tas de gravats qui était le bureau de Madame André.
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A Lunéville, l'inquiétude s'est installée. Il ne fait de doute pour personne que ce sera bientôt notre tour. Et les semeurs de bobards se remettent très vite au travail. Alors que l'émotion est encore vive, certains "on m'a dit" annoncent le bombardement de Lunéville pour le 28 avril 1944. Des avions auraient inscrit dans le ciel, avec leurs trainées de condensation, le chiffre 28 et, à côté, un grand L majuscule. Certains décident d'aller passer la journée à la campagne. Mais la journée du 28 se passera sans alerte, sans sirènes, sans même un "ronron" d'avion.
le jeud 25 mai 1944- 8h20