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25 mai 1944 - 8h20

Les sirènes, discrètes depuis le début du mois, retentissent. Très disciplinés, les Lunévillois regagnent caves et abris. Le temps est splendide, une "tempête" de soleil. Et voici les avions. On en aperçoit quelques uns au-dessus de Ste Anne. "Ils brillaient comme des étoiles" écrivait Marcel Laurent. Et puis le verdict: les sifflements, les explosions, le sol qui tremble: c'est le triage de Blainville. Les équipes de secours de la Croix Rouge démarrent en trombe, mais elles seront bientôt de retour. Elles n'avaient pas eu à intervenir. Cette fois, le bombardement avait été parfaitement exécuté et il n'y avait pas une seule victime. Beaucoup d'habitants de l'est lunévillois, et notamment ceux de Marainviller et de Thiébauménil, se souviennent de cette belle matinée. En effet, toute la population se rendait en procession pour recevoir la statue de Notre Dame de Bon Secours qui lui remettait la paroisse de Croismare. Par la Route Nationale 4, des centaines de personnes cheminaient en chantant des cantiques lorsque le ciel s'emplit du grondement des bombardiers lourds que l'on repéra bientôt très facilement grâce aux traînées de condensation qui s'étalaient en immenses panaches. Venant de l'Est, ils nous survolèrent. On crut Lunéville menacée. On aperçut même les manquants, fusées fumigènes, larguées par les avions guides, indiquant l'objectif. Mais lorsque les premières explosions retentirent et que, sous le pas des pèlerins, le sol se mit à vibre, il apparut que le triage de Blainville devait, à nouveau, être l'objectif du raid.

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Les cantiques avaient cessé et c'est dans un silence absolu que la procession poursuivait son chemin en direction du virage des carrières de Croismare. Mais soudain une petite vois de femme s'éleva: "Notre Père, qui êtes aux cieux". Jamais de ma vie je n'ai entendu prière aussi poignante, reprisr par des centaines de voix brisées par l'émotion car toutes nos pensées étaient auprès de ceux qui étaient peut-être en train de mourir sous les bombes. Oserons-nous imaginer que cette prière avait été exaucée?

Ce raid exécuté par 36 B24 Liberators appartenant pour la plupart aux unités ayant participé à l'attaque du 27 avril 1944. 360 bombes de 500 livrres à grande puissance furent larguées d'une altitude variant de 7600 à 8000 mètres. Le rapport d'opération indique que le temps était clair sur l'objectif, avec une légère brume, la FLAKC (DCA) inexistante et l'opposition aérienne pratiquement nulle sur tout le parcours, aller et retour. Les résultats, en dépit du faible volume des moyens engagés, furent nettement meilleurs que lors du bombardement du 27 avril, comme en témoigne la reconnaissance effectuée le même jour:

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"La majorité des dommages résultant de cette attaque sont observés dans la zone entre les ateliers de réparation des wagons de marchandises et la rotonde située dans la partie est de l'objectif. Ces ateliers, déjà touchés précédemment, sont maintenant très sévèrement endommagés. La rotonde est au quart détruite, avec beaucoup de dommages supplémentaires. La plaque tournante a reçu deux coups directs et un autre l'a raté de peu. Plusieurs petits bâtiments non identifiés ont été endommagés. Des impacts sont visibles sur les voies, à proximité de la rotonde. De nombreux wagons de marchandises ont été détruits. Une concentration de cratères est visible sur la rive Nord-Ouest de la rivière."

Sur les photos aériennes accompagnant ce rapport de reconnaissance, on ne distingue plus de traces de voies sur toute la largeur du triage à hauteur de la rotonde. Les américains avaient, pour cette fois, fait la preuve qu'ils étaient capables d'atteindre leurs objectifs, même en restant à haute altitude, sans meurtrir la population civile. Il était grand temps car depuis le 27 avril 1944, la cote des alliés baissait. On entendait même des germanophobes convaincus dire: "ils y vont fort, ils tirent trop haut, ils pourraient descendre pour bombarder puisqu'il n'y a pas de DCA" oubliant seulement que rien n'empêchait les allemands de mettre inopinément en place quelques FLAK 88. En juin, à Lunéville, on en découvrira ainsi quelques une en batterie au Champ de Mars. D'autres ajoutaient: "s'ils continuent leurs massacres, ils finiront par s'aliéner tous les Français. Et pourquoi utiliser des bombes au phosphore ou à retardement? Qu'ils les réservent donc pour les Boches!".

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Les propagandes allemandes et vichystes s'étaient, bien entendu, emparées de ces douloureuses circonstances. Mais survint le 6 juin 1944, le débarquement de Normandie, l'espoir de la fin du cauchemar. Dans son rapport final sur les opérations en Europe, le Général Dwight D.Eisenhower devait consacrer ce long paragraphe à ce douloureux problème:

" les premières attaques sur le système de communication français furent entreprises à la suite d'une décision extrêmement pénible dont j'endossai la pleine responsabilité. Je n'ignorais pas que les attaques contre les principales gares et les  centres ferroviaires par les forces aériennes stratégiques et tactiques se payaient lourdement en vies françaises. D'autre part, une très grande partie de l'économie française serait inutilisable pendant une longue période.

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A diverses reprises, le Premier Ministre Churchill et le Général Koenig, commandant les Forces Françaises de l'Intérieur, me demandèrent de reconsidérer ma décision de bombarder ces objectifs spéciaux. Le Général Koenig me demanda un jour l'autorisation de faire partie d'un comité chargé d'examiner le degré d'urgence des bombardements des centres habités. Sur la question de la perte de vies françaises, il adopta une attitude digne d'un soldat, en déclarant:" c'est la guerre". Je n'ignorais pas toutes les conséquences qu'entraînait ma décision, jusqu'à l'éventualité désolante de nous aliéner nos alliés français. Cependant, pour des motifs strictement militaires, j'estimais qu'il fallait briser le réseau de communications en France. Le destin d'un continent entier reposait sur l'aptitude de nos troupes à s'emparer d'un point d'appui et à le conserver contre tout ce que nous nous attendions à voir l'ennemi lancer contre nous. Nous ne pouvions négliger ni dédaigner, le moindre facteur pour nous aider à triompher dans notre effort en Normandie. Je crois que les évènements militaires ont justifié ma décision, et le peuple français, loin de se détourner de nous, accepta épreuves et souffrances avec un réalisme digne d'une nation clairvoyante."

le jeudi 29 juin 1944 - 2h00

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