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jeudi 29 juin 1944 - 2h00

Puis ce fut le 29 juin 1944. Le Colonel Des Essarts, dans ses notes journalières, écrivait:

"Dans la nuit du 28 au 29 juin 1944, vers 2h00, nous sommes réveillés par le grondement des avions. Pas de signal d'alerte, les sirènes restent muettes car l'alimentation en électricité, particulièrement perturbée ces temps-ci, est une nouvelle fois coupée. Des fusées en grand nombre, énormes disques de feu, descendent avec lenteur, éclairant comme en plein jour. Lunéville paraît encerclée, des lueurs partout, vers Moncel, vers Jolivet mais surtout vers le sud-ouest. Car voici les bombes, des détonations d'une violence inouïe, le vacarme est indescriptible. Nul doute cependant: une fois encore, c'est Blainville-Damelevières qui subit la terreur d'un raid aérien, plus affreux encore car se produisant en pleine nuit. Les lueurs des explosions et peut-être des incendies sont visibles de Lunéville".

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Marchant au " canon", les équipes de secours de Lunéville sont à l'oeuvre. Claude Armbruster, Chef d'une des équipes de secouristes de Madame Boissel, se souvient:

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"Nous foncions à toute allure dans la nuit, en dépit du faible éclairage de nos phares qui ne laissaient filtrer qu'un mince faisceau lumineux, défense passive oblige. A l'entrée de Mont-Sur-Meurthe, nous avons failli plonger dans un entonnoir creusé par une bombe, au milieu de la route. Pour y voir plus clair, j'arrachai les caches de nos phares. A notre arrivée à Blainville, des blessés étaient déjà regroupés et j'en pris aussitôt deux en charge pour les amener à Lunéville. Au passage à Mont-Sur-Meurthe, des habitants s'affairaient déjà à combler l'entonnoir avec tout ce qui leur tombait sous la main: fagots, pierres, bûches... Avenue de Gerbéviller, nous fûmes stoppés par deux Feldgendarmes, surpris de voir arriver une voiture en pleins phares. Mais comprenant très vite le but de notre mission, c'est avec un gendarme allemand sur chaque marchepied, bousculant au passage une patrouille de la défense passive, que nous sommes arrivés à l'hôpital en un temps record avant de retourner à Blainville"

Hélas, le bilan était lourd, très lourd. 35 morts, 23 blessés très graves, des dizaines de blessés moins gravement atteints. C'est le quartier du Haut des Places, à Blainville, qui a été particulièrement touché. Visions affreuses pour les sauveteurs qui découvrent les pauvres corps mutilés, déchiquetés, écrasés sous les décombres. Parmi les blessés, beaucoup de fractures du crâne. Tous les blessés seront soignés à Lunéville où trois d'entre eux devaient décéder. Des familles sont durement touchées, sinon anéanties. Dans une cave effondrée, on ne retrouvera, saine et sauve, qu'une petite fille miraculeusement sauvée par une grosse poutre qui l'avait protégée de l'écrasement. Et le fait qu'un train de troupe allemand ait été haché par les bombes - plus de 200 morts- entre Blainville et Mont Sur Meurthe ne pouvait consoler les familles des victimes, ni apaiser la colère des sauveteurs car une fois encore, des engins à retardement avaient été largués.

Des explosions surviendront encore plusieurs jours après le raid. Des prisonniers sénégalais venant du camp d'Ecrouves et employés à la relève et à la destruction de ces dangereux engins auraient été tués par des explosions. L'objectif de ces bombes à retardement était bien évidemment de retarder les opérations de remise en état des installations endommagés et de perturber le travail du personnel qui y était employé. Aussi faut-il admirer plus encore le courage et le désintéressement des sauveteurs qui poursuivaient sans faiblir, et au risque d'y perdre la v ie, leur noble mission.

Le raid fut exécuté par 116 bombardiers quadrimoteurs, comprenant 102 Halifax et 14 Lancaster du 4ème groupe de Bomber Command de la Royal Air Force. L'attaque débuta à 1h23 et était terminée à 1h39. L'ensemble de l'objectif disparaissait alors sous la fumée. 335 tonnes de bombes furent lancées dont quelques tonnes de bombes incendiaires utilisées comme marquants au sol par les avions éclaireurs, en plus des fusées guidant les vagues successives sur la gare de triage.

Dans le rapport d'opération, il est précisé que les premiers marquants étaient mal "positionnés", erreur rectifiée permettant ultérieurement une meilleure concentration. Est-ce possible d'imputer à cette erreur le désastre qui s'abattit sur Blainville au cours de cette nuit du 28 au 29 juin 1944...et l'anéantissement, tout à fait imprévu, du train allemand.

Le même rapport signalait une FLAK insignifiante. Par contre, la chasse allemande était très active, entre Paris et la zone de l'objectif. 4 Messerchmitt 109, 3 Focke Wulf 190 et 1 Messerschmitt 210 furent abattus.

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Le trafic normal entre Lunéville et Nancy ne reprendra qu'à partir du 8 juillet 1944. Depuis le bombardement, il y avait transbordement et les voyageurs devaient effectuer une longue marche, le long des décombres du triage, pour passer d'un train à l'autre. Tout le personnel de l'usine des Wagons de Lunéville avait été employé au dégaement des voies puis à la remise en état des wagons endommagés.

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Enfin, dernier bilan après ce troisième bombardement en deux mois, cent cinquante familles se retrouvent sans abri, formule qui signifie que dans la majorité des cas, ce sont autant de foyers qui ont été anéantis. Quelques photos de l'époque témoignent du degré atteint par les destructions. Les maisons touchées de plein fouet ne sont plus qu'un amas de gravats et de poutres brisées. Le fond des entonnoirs s'est rempli d'eau provenant des canalisations crevées. Des rues sont totalement obstruées par les décombres, ce qui ne facilite pas le travail des équipes de déblaiement. Parfois, cependant, un spectacle quelque peu cocasse vient distraire les témoins; tel ce mirabellier arraché par le souffle d'une bombe et qui se trouve fièrement planté sur le toit d'une maison voisine

Septembre 1944

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Le jour rêvé de la Libération approche et à Blainville comme à Damelevières, le cauchemar de nouveaux bombardements s'éloigne chaque jour un peu plus. Mais, le 13 septembre 1944, ce ne sont plus des bombes mais des obus de l'artillerie américaine qui s'abattait sur Damelevières. Au 63 rue du Champ de Ville, un obus éclate dans une cave. Bilan affreux: 7 morts et 6 blessés. Une seule famille compte 4 morts, dont 3 enfants et 2 blessés.

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C'est le jour de la Libération

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Et pourtant, le dur calvaire de nos cités voisines n'était pas encore à son terme. Depuis 10 jours, la population goûtait à la joie de la liberté retrouvée. Les activités avaient pratiquement repris leur cours normal. Dans les entreprises et les usines, on s'était courageusement remis au travail. L'inquiétude soulevée par la contre-attaque allemande du 18 septembre 1944, des avant-gardes blindées avaient atteint le cimetière le 18 au soir- s'était rapidement estompée.

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Ce 22 septembre 1944, vers 18h00, les rues étaient pleines de monde. Les ouvriers sortaient de l'usine. On s'attardait sur le pas des portes. On bavardait avec les amis, les enfants jouaient à la guerre. Les soldats des Forces Françaises de l'Intérieur vaquaient à leurs occupations, tous fiers des véhicules qu'ils avaient récupérés sur l'ennemi en déroute. On entendait bien des grondements de canons du coté de Lunéville, mais c'était loin. Et le soleil était si beau!

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Ce fut un drame. Un chasseur bombardier américain, rentrant probablement bredouille de sa mission et certainement mal informé de la situation au sol, plongea sur Blainville et, d'une seule mais très longue rafale de ses huit mitrailleuses, balaya la Grande Rue, aujourd'hui rue du Maréchal Leclerc, la rue principale, là où il y avait le plus de monde en cette fin d'après-midi.

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Ce fut l'hécatombe: 10 morts et 14 blessés.

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On pense encore aujourd'hui que le pilote avait pu repérer les véhicules allemands utilisés par les FFI, et qui, malheureusement, ne portaient pas les panneaux obligatoires sur tous les engins blindés ou à roues circulant à proximité de la ligne des contacts. Plusieurs FFI d'ailleurs furent blessés dans l'une des camionnettes. Lunéville se trouvant encore en pleine bataille, ils furent évacués sur Nancy.

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Puis la guerre s'éloigna enfin de la Lorraine. Mais pendant des mois encore le ciel resta plein du grondement des avions en route vers l'Allemagne. Tous les jours, les vagues de bombardiers lourds ravivaient les angoisses, réveillaient les souvenirs, rappelant le sacrifice des malheureuses victimes.

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C'est pour celles-ci que j'ai écrit ces quelques pages, bien incomplètes sans nul doute, mais qui, j'espère, permettront d'aider notre jeunesse d'aujourd'hui , à se souvenir.

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